T’endormir avec un goût de framboise
Sous mes yeux écarquillés
Un goût
De crème de caramel aux noisettes
Engourdit ma langue
Tu es nue
Endormie sous un tulle violet
Un léger goût pistache envahit notre lit
Et déjà
j’entends l’aube poindre dans la rue
Souffler dans les persiennes ouvertes à demi
Le murmure que l’éveil réserve aux ingénus.
Cela fait-il une heure que tu t’es endormie
Ou quatre ou huit ou cent
Cela importe peu, car un goût de coco
Aux arômes d’agrumes et de gingembre doux
S’échappe par tes yeux que tu viens d’entrouvrir ;
Je sens mon cœur faiblir car tracés sur ta peau,
Par l’aurore tranchée au ciseau des persiennes,
S’étendent de grands traits aussi noirs que l’ébène
Et qui traçant leurs veines jusque dans ton dos
Me font douter du jour et douter de la nuit.
Et toi tu me regardes, apaisée, éblouie
Un goût de tarama semble avoir pris ta bouche
Et tes pommettes roses marquées par l’oreiller
Et sur tes joues froissées et moins froissées déjà,
Dans tes cheveux, ta main qui s’y est emmêlée
Je vois s’entremêler le goût de l’origan
Et un goût d’inconnu qui semble familier.
Dehors sur l’avenue, on entend les enfants
rire et pleurer, dehors on entend les voitures ;
Il semble que la ville attendait l’ouverture
de tes yeux pour reprendre son rythme bruyant
Depuis combien de temps le gros camion-poubelle
attendait il, figé, que tu ne dormes plus
Pour se mettre à sonner, marteler ses ridelles,
et entonner gaiement son chant de détritus ?
Depuis combien de temps le feu était il rouge
Pour qu’au moment précis où je t’ai vue bailler
S’époumone le choeur des moteurs par milliers
Comme pour célébrer tes paupières qui bougent ?
Je crois que quand tu dors le train ne passe plus
les aiguilles des grues se figent sur le port
Et le temps ralentit puis s’arrête, vaincu,
Comme une proie cernée simulerait la mort.
Et l’univers entier ferme ses écoutilles
Quand tombe la cuiller de ta main détendue
Et tant qu’elle est en l’air, l’infini suspendu
Inspire doucement et ouvre ses papilles.