Je me rappelle encore l’odeur du savon
Les carreaux bleus, la buée enchantaient le décor
La dentelle au rideau séparait les rayons
Parsemant le plafond d’étoiles d’eau et d’or
Le soleil déclinait et je lavais mon corps
Un corps d’homme encor jeune quoiqu’un peu charnu
Un corps d’un quart de siècle tel qu’on les adore
Je découvrais alors qu’il m’était inconnu
Murmure de la mousse sur mon ventre nu
Dont je redécouvrais la rondeur familière
De mes doigts j’explorais le contour ingénu
De mon propre visage, oreilles et paupières
Et mes doigts ... et mes mains ! Si douces si légères
Que rien ne retenait l’aventure curieuse
Qui les ensorcelait, désormais messagères
Par mes sens adoubées partaient en éclaireuses.
Elles se délectaient de mes joues onctueuses
Tentaient d’élucider ce mystère terrien
Ce que la Voie lactée serait aux nébuleuses
L’intuition du grand tout contenu dans un rien.
Puis-je ne pas connaître ce qui m’appartient ?
Car ce corps sous mes mains m’apparaissait nouveau
Comme au tout premier jour où tu m’offris le tien
Corps que je parcourus couché sur les pavots
Ainsi mes doigts couraient dans mes cheveux, ma peau
Semblait se reconnaître à ses propres caresses
Glissant comme le vent sur la soie des drapeaux
Que l’on faisait flotter en haut des forteresses
Et ces jambes ces bras et ces muscles seraient-ce
Les dons d’une déesse aujourd’hui dépréciée ?
De me laisser le choix entre effort et paresse
Nature Ô laisse moi pour ça te remercier
Merci pour la jeunesse et pardon pour l’acier
Dont nous tranchons les corps que tu nous as offerts
Ce vaste et foisonnant paradis nourricier
Écrasé sous nos dents se transforme en enfer
Merci pour la beauté et pardonne mes frères
D’avoir cueilli tes fleurs pour faire des cadeaux
Des cadeaux en papier, pour nos anniversaires
Pardonne nous les guerres des temps féodaux
Pardon pour nos prières pardon pour les flots
D’excréments et d’ordures dans tes océans
Pardon pour l’avenir pardon pour les joyaux
Que de tes volcans purs nous extrayons gaiement
Ainsi je me lavais dans l’émerveillement
De ce corps infini frais comme la moisson
Les miroirs embués reflétaient vaguement
Sa silhouette mouillée parcourue de frissons
Et l’eau tourbillonnait happée par le syphon
Ce manège à mes pieds je m’en rappelle encore
Quand la terre emportée partait comme s’en vont
Mes souvenirs au gré du temps et de la mort