Cela faisait des mois qu’il n’avait rien écrit et les oiseaux passaient sans qu’il n’en naisse un mot. Les moineaux s’ennuyaient et la peur s’installait de nouveau dans le cœur de cet homme, qui chaque fois qu’un temps plus long que d’ordinaire étirait son silence entre deux créations, craignait que le désir – c’est à dire la vie – l’abandonne à jamais.
Ses naseaux pourchassaient les odeurs, son esprit les idées et ses yeux se plissaient chaque fois qu’un éclat transperçait le brouillard dans lequel évoluaient des beautés trop ténues pour qu’en naisse un poème. Et l’homme s’inquiétait ; et les oiseaux de même. La neige était tombée sans que magie n’advienne et l’hiver dérobait trois minutes par jour au soleil, sans recours, qui faisait profil bas.
Ailleurs, à Kinshasa, des nuées d‘hirondelles en joie d’être arrivées auraient bien pu donner matière à quelques vers, mais l’homme n’en captant ni les cris ni les danses, l’idée de parcourir une telle distance en esprit eut tôt fait de le décourager.
Ses naseaux pourchassaient les odeurs, son esprit les idées et ses yeux se plissaient chaque fois qu’un éclat transperçait le brouillard dans lequel évoluaient des beautés trop ténues pour qu’en naisse un poème. Et l’homme s’inquiétait ; et les oiseaux de même. La neige était tombée sans que magie n’advienne et l’hiver dérobait trois minutes par jour au soleil, sans recours, qui faisait profil bas.
Ailleurs, à Kinshasa, des nuées d‘hirondelles en joie d’être arrivées auraient bien pu donner matière à quelques vers, mais l’homme n’en captant ni les cris ni les danses, l’idée de parcourir une telle distance en esprit eut tôt fait de le décourager.
Depuis les deux fenêtres de sa garçonnière, il s’était rassasié de l’éternelle pièce que rejouait sans cesse depuis quatorze ans la compagnie urbaine de son voisinage.
Chaque acte, chaque scène, chaque personnage avait son scénario, ses répliques, ses gestes :
« Comment allez vous cher voisin ? » - « C’est bientôt l’heure de la sieste » - « Dans ce cas reposez vous bien ! »
C’était le texte pour Ernest, dont la présence à 60 ans dans un studio pour étudiants était à l’image du reste de ce drôle d’équipage : Romain – 30 ans – premier étage – dormait par terre et prétextait que réserver autant d’espace à un sommier pour y passer si peu de temps (il voulait dire « temps éveillé ») était absurde. Il dormait sur un tapis de sol qu’il étalait dans son bureau, dans sa cuisine, dans son entrée, dans son salon, c’était selon – tout ça étant la même pièce de 21 mètres carrés. Autant de mètres que d’années ; Inès, 21 ans et déjà mère de deux enfants habitait l’étage au dessus. Elle était mère à son insu. Sa fenêtre était condamnée, remplacée par un écran plat, placé astucieusement pour qu’en changeant de fond d’écran, elle puisse se croire voyager.
Hamid était le plus âgé. Il marchait lentement, toujours en fredonnant quelque vieille chanson qu’on ne connaissait pas, déambulait par petit pas sans jamais quitter ses chaussons.
Aux questions qu’on lui posait, Hamid ne répondait jamais autrement qu’en levant les yeux, comme pour y chercher la réponse quelque part dans les cieux sans jamais la trouver. Alors, toujours, le vieux souriait, un peu comme s’il se réjouissait que la vie soit si mystérieuse ou bien son esprit si faillible.
Souvent, au retour du supermarché, l’homme croisait Hamid, posé au pied du bâtiment avec un thé et le sourire de ceux qui ont découvert le secret pour ne plus jamais faire les frais de l’étroitesse d’un logement. Alors, ils bavardaient du beau temps et de la pluie ou de banalités charmantes qu’ils échangeaient en se souriant. Parfois, l’homme se surprenait à n’être présent qu’à moitié à la conversation. Une part de lui cherchait à attraper… un fil. Le petit bout de fil que la beauté tend aux poètes, pour qu’ils déroulent la pelote et puis se tricotent un poème, comme une écharpe pour l’hiver. L’homme cherchait le premier vers, le premier mot, il pressentait que dans les contours du tableau de ce vieil homme en djellaba, posé en bas, buvant son thé, se dessinait quelque chose qu’il ne voyait pas, et cela l’inquiétait.
Chaque acte, chaque scène, chaque personnage avait son scénario, ses répliques, ses gestes :
« Comment allez vous cher voisin ? » - « C’est bientôt l’heure de la sieste » - « Dans ce cas reposez vous bien ! »
C’était le texte pour Ernest, dont la présence à 60 ans dans un studio pour étudiants était à l’image du reste de ce drôle d’équipage : Romain – 30 ans – premier étage – dormait par terre et prétextait que réserver autant d’espace à un sommier pour y passer si peu de temps (il voulait dire « temps éveillé ») était absurde. Il dormait sur un tapis de sol qu’il étalait dans son bureau, dans sa cuisine, dans son entrée, dans son salon, c’était selon – tout ça étant la même pièce de 21 mètres carrés. Autant de mètres que d’années ; Inès, 21 ans et déjà mère de deux enfants habitait l’étage au dessus. Elle était mère à son insu. Sa fenêtre était condamnée, remplacée par un écran plat, placé astucieusement pour qu’en changeant de fond d’écran, elle puisse se croire voyager.
Hamid était le plus âgé. Il marchait lentement, toujours en fredonnant quelque vieille chanson qu’on ne connaissait pas, déambulait par petit pas sans jamais quitter ses chaussons.
Aux questions qu’on lui posait, Hamid ne répondait jamais autrement qu’en levant les yeux, comme pour y chercher la réponse quelque part dans les cieux sans jamais la trouver. Alors, toujours, le vieux souriait, un peu comme s’il se réjouissait que la vie soit si mystérieuse ou bien son esprit si faillible.
Souvent, au retour du supermarché, l’homme croisait Hamid, posé au pied du bâtiment avec un thé et le sourire de ceux qui ont découvert le secret pour ne plus jamais faire les frais de l’étroitesse d’un logement. Alors, ils bavardaient du beau temps et de la pluie ou de banalités charmantes qu’ils échangeaient en se souriant. Parfois, l’homme se surprenait à n’être présent qu’à moitié à la conversation. Une part de lui cherchait à attraper… un fil. Le petit bout de fil que la beauté tend aux poètes, pour qu’ils déroulent la pelote et puis se tricotent un poème, comme une écharpe pour l’hiver. L’homme cherchait le premier vers, le premier mot, il pressentait que dans les contours du tableau de ce vieil homme en djellaba, posé en bas, buvant son thé, se dessinait quelque chose qu’il ne voyait pas, et cela l’inquiétait.
À l’étage en dessous habitait une femme qui s’appelait Élise. L’homme l’apprit plus tard ; Il ne la connaissait que par les vocalises qui lui parvenaient parfois, lorsqu’un élan de joie filtrait par la fenêtre ou la ventilation. Il entendait la voix et fabriquait le reste avec son imagination : son nom, son visage et son corps changeaient selon les airs qu’elle chantait, ainsi était elle trentenaire un jour, vieille le lendemain, s’il entendait trembler ses mains dans la mélodie qui tournait dans le conduit de vmc.
Hélène, Céline, Estelle, Ingrid, Véronique… autant d’identités sans compter celle à venir, Élise, qui sait ? Pas lui avant de l’avoir rencontrée, un soir dans l’ascenseur, comme on fait dans les HLM. Il reconnut sa voix quand elle lui demanda l’étage, il ne la regarda qu’à peine, de peur d’abimer les images qu’il s’était mises dans la tête. « Enchantée. Élisabeth. Mais je préfère Élise. » enchanté, répondit-il, sans pour autant se présenter.
Hélène, Céline, Estelle, Ingrid, Véronique… autant d’identités sans compter celle à venir, Élise, qui sait ? Pas lui avant de l’avoir rencontrée, un soir dans l’ascenseur, comme on fait dans les HLM. Il reconnut sa voix quand elle lui demanda l’étage, il ne la regarda qu’à peine, de peur d’abimer les images qu’il s’était mises dans la tête. « Enchantée. Élisabeth. Mais je préfère Élise. » enchanté, répondit-il, sans pour autant se présenter.
Quelques jours plus tard, suffisamment pour oublier (préoccupé qu’il était par son inspiration perdue), alors qu’il consultait sa boîte aux lettres pleine de publicités qu’il ne se donnait même plus la peine de jeter, il aperçut un courrier sans timbre ni cachet, sans adresse non plus. Il l’ouvrit. Le lut :
« Tu me plais » - mais le mot n’était pas signé.
À cet instant, il sentit le petit fil tant attendu lui chatouiller le nez. Hamid était devant sur une chaise qu’il avait descendue et saluait Élise qui entrait dans le hall. En voyant l’homme et son courrier, l’air ébêté et mal à l’aise, Élise ne parut ni surprise, ni gênée. Elle le salua de loin comme si de rien n’était et disparut dans l’ascenseur. Mais l’homme était ailleurs et ne répondit pas, il était absorbé par ce petit papier qu’il tenait à deux mains, et qu’il n’osait plier. Il regardait Hamid, repensait à Romain, Élise et ses mystères, Inès et tous les autres, tout réapparaissait avec un tel besoin d’en traduire la beauté qu’il se rua chez lui avec l’idée d’écrire, d’abord sur son calvaire qui venait de finir, et puis sur ses voisins, dont il voyait soudain se dessiner la grâce au cœur de leur misère. Et comme un nouveau né pousse son premier cri, en deux alexandrins, il exprima ses maux :
« Tu me plais » - mais le mot n’était pas signé.
À cet instant, il sentit le petit fil tant attendu lui chatouiller le nez. Hamid était devant sur une chaise qu’il avait descendue et saluait Élise qui entrait dans le hall. En voyant l’homme et son courrier, l’air ébêté et mal à l’aise, Élise ne parut ni surprise, ni gênée. Elle le salua de loin comme si de rien n’était et disparut dans l’ascenseur. Mais l’homme était ailleurs et ne répondit pas, il était absorbé par ce petit papier qu’il tenait à deux mains, et qu’il n’osait plier. Il regardait Hamid, repensait à Romain, Élise et ses mystères, Inès et tous les autres, tout réapparaissait avec un tel besoin d’en traduire la beauté qu’il se rua chez lui avec l’idée d’écrire, d’abord sur son calvaire qui venait de finir, et puis sur ses voisins, dont il voyait soudain se dessiner la grâce au cœur de leur misère. Et comme un nouveau né pousse son premier cri, en deux alexandrins, il exprima ses maux :
29 Décembre 2024
Théo Levaufre
que je cherche mes mots mais ne les trouve pas.