I
Cette nuit à nouveau, j’ai couru ses pavés
Ses corridors sans fin, ses combles sans lucarne
Et n’entendant l’écho de mon propre vacarme
retentir sur les murs, je me savais rêver
Je te cherchais je crois, mais puis-je en être sûr ?
J’ouvrais toutes les portes et les coffres forts
J’avais toutes les clés et sans le moindre effort
Filais comme un fantôme au dessous des voussures
Je te cherchais, je crois ; muré dans le silence.
Et si j’avais crié on n’aurait entendu
Ni mon cri déchirant mes poumons distendus
Ni les portes que je claquais avec violence
Dans les salles de bain aux vasques de faïence,
Des fissures moisies avaient planté leurs griffes
Des gouttelettes noires s’écoulaient en glyphes
et marquaient les secondes en sinistre cadence
Je te cherchais, c’est sûr ; et je pressais le pas
Et de chambre en boudoir je traquais ton hégire
Sans jamais te trouver, comme le crayon gire
Sans jamais rencontrer la pointe du compas
Dans le cellier sans vin, dans la salle de chasse
Aux rideaux cramoisis dormant sous les moulures
Je découvrais, passant, de longues craquelures
Mutilant les sculptures d’atroces crevasses
Aux murs, les sangliers, les armes, les trophées
me regardaient me tordre au milieu du dédale
Comme un seigneur déchu d’un âge féodal
Où feinte, où trahison, où laideur triomphaient
J’étouffais, parvenu dans les jardins du cloître
où ne restait de fleurs qu’un chardon desséché
qui, ne voyant du ciel que l’ombre des clochers,
Oubliant le soleil, avait cessé de croître.
Effaré, dévasté, livide, hagard, reclus
Homme d’un autre temps, otage de mes songes
Prisonnier d’un château, bâti de mes mensonges
Entre les murs desquels je ne te trouvais plus.
II
Il est des jours sans ombre et sans lumière aussi
Où tout semble se fondre dans l’appréhension
de la première goutte, juste avant l’explosion
D’un orage semblable à celui que voici.
Sous les fresques voutées des plafonds du château,
Je tournais sur moi-même, le regard levé
Lorsque sur mon front blême – comme pour le laver –
Perlèrent quelques gouttes, et d’autres aussitôt
Je sentis la fraicheur couler contre mes tempes
Alors que tournoyait ton visage au plafond
Fissuré et pleurant ; pendant que le typhon
de ton chagrin gorgeait le vélin des estampes
Était-ce un rêve encore ? J’entendais sur mon crâne
Le plâtre s’émietter, emporté par la pluie
Tout ce qui jusqu’alors ne faisait plus de bruit
Submergé par tes flots s’écriait « Mythomane ! »
Les canapés volaient par dessus mes épaules
Et mes bras écartés, et mes yeux grand ouverts
Quand bien après avoir fait céder les gouttières
Tu inondais de larmes ma piteuse geôle
Les murs autour de moi subissaient la tempête
Engloutis par ton eau – par ta colère aussi –
Au cellier les tonneaux semblaient crier merci
et comme moi, tournaient en se cognant la tête
Quand tout fut emporté, de la première pierre
Au plus insignifiant de mes tristes effets
Ne demeura de moi qu’un jeune homme défait
De ce qu’il avait pu échafauder pour plaire
Je suis seul au milieu de mon amour pour toi
entouré d’engrenages de peur et de doute
Puisque tu sais, je crois, que tout ça me dégoute
Puisque ni toi, ni moi, ne voudrions de roi
Puisque la pluie tantôt précède tantôt suit
Ce soleil que l’on aime plus que tant d’étoiles
Au milieu du jardin, une éclaircie dévoile
Une fleur de chardon dans une mer de suie.