Cuisinier raté, c’était sa vocation
Il avait pour mission de préparer le plat 
Qu’on sert de bonne grâce aux condamnés à mort
Ainsi, le goût trop fort de ses préparations 
Ou trop fade ou trop sec ou trop que sais-je encore 
Fluidifiait souvent la lente procession 
Qui sépare l’assiette de la guillotine. 

Car encor trop souvent les détenus rechignent à l’idée qu’on les déleste de leur tête. 
Il eut été naïf de croire qu’une assiette
Composée du fleuron de la grande cuisine
Pût motiver un homme à céder à la France 
Sa langue et son palais au fond d’une bassine. 
Ainsi notre héros, présentant ses tartines
De pain déjà rassis et de beurre un peu rance 
Fût très vite embauché tant il était fréquent 
Que les tristes gaillards qu’il nommait « ses convives »
Supplient après l’entrée qu’on les tue sur le champ. 

Après tout – il disait – qu’on périsse ou qu’on vive, 
Il n’est jamais trop tard pour prendre du bon temps.
Il s’enorgueillissait des nombreux compliments 
Qu’on lui faisait souvent les jours d’exécution
On avait estimé qu’entre le jugement
Et les formalités suivant l’inhumation 
Il pouvait grâce à son incroyable talent
Faire économiser jusqu’à deux heures et quart. 
Soit, pensé autrement, presque dix mille francs
Car vous vous en doutez, il y a peu de smicards
entre les officiels, le bourreau, les gardiens
L’équipe d’entretien pour nettoyer le sang
le médecin chargé de vérifier le corps
Comme pour confirmer qu’il est bel et bien mort, 
Le curé qui souvent réclame son pécule
(Il en faut, de l’argent pour bénir les crapules !) 
L’économie formée est bien plus que notable !

Et je vous vois venir avec vos grands principes
« Traiter les gens ainsi, mais c’est inacceptable »
Laissez moi vous rappeler que ceux qui vous étripent 
Sont tous guillotinés aux frais du contribuable.
N’est il pas préférable et moins autoritaire 
Que trois pommes de terres mal assaisonnées
Fassent d’un condamné un mourant volontaire ?

Mais alors quand j’entends cette idée – une folie – 
Que la peine de mort devrait être abolie ...
Et quand j’entends crier qu’il faut changer la loi ...
Ce que vous condamnez, c’est bien le plein emploi !
N’avez vous pas pitié de ces honnêtes gens
Que vont ils devenir ? Il vont tuer le temps ! 
Pourquoi défendre ainsi le sort de ces canailles ? 
Afin que tous les autres perdent leur travail ? 
Pour que nos chers bourreaux, dont c’est la profession 
Continuent à couper des têtes par passion ? 
Que leur restera-t’il ? Il seront à la rue,
Mendieront au bon cœur dont ils sont dépourvus !

Et notre cher ami, pourtant si talentueux
Ouvrir un restaurant pour les nécessiteux ?
En un sens il est vrai que cela réglerait 
D’un seul coup la misère et la mendicité.
Leur offrir le couvert ... ça n’a rien de méchant ! 
J’imagine déjà la pancarte affichant 
« Premier repas gratuit, et les suivants offerts »
Offrez vous aujourd’hui un déjeuner d’enfer ! 
On peut imaginer une salle à l’étage,
Les fenêtres ouvertes estampillées « sortie » 
En bas s’affairerait l’équipe de ménage
Pour nettoyer le sol de ses clients conquis. 

Ainsi quand le chômage aura trouvé sa fin
Son restaurant vidé le remplira de doute 
sur ses capacités, car quand il avait faim
Il déjeunait de l’autre côté de la route.
Ainsi il ignorait le goût qu’avaient ses plats
Peu importe d’ailleurs, tant qu’il faisait complet
Mais dès lors que son restaurant fut dépeuplé 
La curiosité gagna son front méplat

Cuisinier raté, il est mort en héros
Comme Molière est mort après avoir foulé
les planches lors de son ultime numéro
la comédie pour l’un, pour l’autre un cassoulet. 

Poèmes aléatoires :

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