Il venait de pleuvoir l’atmosphère était dense 
Et la ville expirait son haleine flétrie
D’innombrables ruisseaux se formaient en silence 
aux infinis sanglots des gouttières meurtries 

Tirant dans son sillage l’asphalte et l’essence
aux bleuâtres reflets ; qu’elle est laide la pluie !
Quand sa calme sereine et douce transparence
Se frelate aux couleurs du tumulte et du bruit

Attentif aux chemins que traçaient ces vaisseaux
J’y voyais le Danube, le Rhône ou la Loire 
Emportant avec eux les déchets et mégots
Ces sinistres radeaux voguaient sur les trottoirs

Où vont ces oubliés et ces briquets sans feu ?
Ces cadavres ces corps, où vont-ils ? Ils descendent
Par l’ouest ou par le nord, peu importe : ce lieu, 
Ils s’y retrouveront dans leurs manteaux de cendres.

Quel est donc cet endroit où semblent converger
Leurs errances morbides ? Car en bas c’est la mer ...
Ou bien continuent ils alors de s’enfoncer
lentement dans le vide assourdi de l’enfer ? 

Essuyant mes lunettes je me suis penché
Sur les rives tordues d’une de ces rivières
Au croisement des rues j’interrogeais sachets
et bâtons de sucettes sur cette croisière : 

« Ah ! Sur nos présentoirs nous étions tell’ment fiers 
Et certains d’être élus à quelque grand destin
Nos corps étaient baignés d’une blanche lumière
Décidés à répondre à vos nobles besoins 

Nous nous imaginions, chez vous, sur l’étagère,
Parmi les autres choses dont vous prenez soin
Parmi les sucriers, les vases, les couverts
Vous nous auriez lavés, nous les aurions rejoints

Docilement rangés sur de beaux présentoirs
Nous attendions rêveurs, l’heure où nous achetaient
Vos mains qui chuchotaient : « vous n’avez pas d’histoire »
On nous a recueillis, puis on nous a jetés. 

Désirés, nous le fûmes, pour ce que nous portions 
Dans nos brillants costumes, sandwiches et biscuits
Du format familial à la simple portion
Oh ! Notre dévotion ne vous a pas séduits ... 

Il est un lieu paisible où nos corps mutilés
Paraît-il ont leur place ; le mérite séant
Rendu à nos carcasses plastiques : Exilés,
Nous partons aujourd’hui rejoindre l’océan. 

Humain ne retiens pas mon départ imminent
Je rejoindrai les miens, et j’irai à la nage 
rallier ce qui bientôt sera le continent
De votre perdition et de notre carnage

Mais ne te méprends pas sur ces sombres présages
Nous sommes les enfants de l’ennui dégoûtant
Et nos habits froissés n’en sont que le visage
Scarifié, crasseux et maquillé pourtant. 

Alors sans un regard ni pour moi ni pour ceux
Dans la rue qui marchaient affairés – mais sans but –
S’en retourna flotter, pitoyable et poisseux
Le dernier d’entre eux ; misérable rebut

Ainsi il disparut sous le trottoir mouillé
Englouti par la ville aux avaloirs de fer
qui semblait se nourrir du plastique souillé,
la bouche ouverte comme un fou qui vocifère 

Depuis la vie urbaine a repris sa routine
Et les horodateurs tintent sur l’avenue
Aux cafés les journaux sentent la nicotine 
L’eau coule sous les ponts et la vie continue


Poèmes aléatoires :

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