Chaque matin, je bois quatre cafés.
La machine se trouvant entre mon couchage et ma salle de bain, ma tasse se remplit tandis que ma vessie se vide, comme deux vases communiquant dans un absurde réseau tuyautant son itinéraire secret à travers l’espace.
Le premier café se boit d’une traite. Sans y penser. Comme l’expression de la volonté propre qu’aurait mon corps de se réveiller. Peut être, comme s’il profitait de mon endormissement pour prendre l’initiative.
Tandis que se recompose doucement l’image de ce qui, bien souvent, s’avère être ma chambre, émerge de mon esprit engourdi l’idée d’un « premier » café.
J’en tiens pour principale responsable l’amertume laissée sur ma langue par le café précédent (appelons-le café zéro) celui là même qui, se frayant un passage entre les sinuosités de ma torpeur matinale, a su aller droit au but, pas même ralenti par la peur de la brûlure dont le suivant fait habituellement l’objet.
Ce deuxième café n’a pas d’importance. Mérite seulement d’être mentionné le fait qu’il est souvent plus long que le premier, expression de ma frustration de ce qu’un espresso représente quatre centilitres de liquide, soit nettement moins que ce que ma bouche est capable d’absorber. Frustrée d’être ainsi sous estimée, elle ingurgite les dix centilitres de ce deuxième café d’un seul trait.
Ainsi n’est-il pourrait-on dire qu’un passage vers le café suivant – le troisième – qui s’il n’était systématiquement accompagné de la culpabilité du supplice qu’il infligera à mon estomac, serait de loin le plus appréciable.
Fait notable : les assauts successifs de la caféine sur mon organisme ont eu pour mérite de réchauffer ma tasse, ce qui ne manque pas d’expliquer le fait que je ne me sois pas encore brûlé, le café étant bien sûr refroidi par la céramique dans une certaine logique de réciprocité.
Ce qui nous amène à la conclusion que la vie est bien faite, compte tenu de l’amusante coïncidence des moments où mon café serait à même de me brûler, et de celui où je suis assez éveillé et alerte pour ne pas le laisser faire.
Le quatrième et dernier café conclut ce rituel matinal dans une douloureuse apothéose, car de tous ceux qui l’ont précédé, il est le seul qui fasse l’objet d’une réflexion préalable. Mon estomac se révolte. J’ai déjà dépassé de loin la quantité quotidienne acceptable pour un individu de ma taille et dans le même temps, j’ai la sensation de n’avoir pas réellement éprouvé le plaisir au nom duquel les palpitations de mes organes en souffrance trouveraient leur raison d’être.
La solution à ce dilemme est pourtant d’une étonnante simplicité : Elle se résume à déterminer arbitrairement un seuil à partir duquel j’estime que le tort causé à mon système cardio-vasculaire est plus susceptible – à terme – de réduire le nombre de cafés qu’il me reste à vivre, que de m’apporter la satisfaction d’un café supplémentaire.
Cette estimation doit évidemment prendre en compte la probabilité croissante d’atteindre cet objectif de plaisir et celle d’une mort rapide, voire immédiate.
Ce seuil est généralement fixé entre quatre et cinq.
Ce quatrième café n’est donc finalement qu’une revanche de mon esprit sur mon corps ; lui faisant payer au prix d’un ulcère l’égoïsme du café zéro, absorbé en son absence alors qu’il n’était pas même capable d’épeler ni le mot café, ni le mot zéro.
La vengeance est un café qui se boit chaud.